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Erebus

L'univers "dark fantasy" d'Erebus et ses centaines d'histoires traduites du mod de Civilization IV: "Fall From Heaven II"

Les Doux Rêveurs - Partie 2

Publié le 31 Octobre 2016 par Stoik

Necronomicon

 

Le Necronomicon

     Comme le soleil s'enfonçait dans l'océan, ses nouvelles couleurs brillaient au-dessus des eaux calmes. La lumière qui mourait dans des ombres pamplemousse et rouge-orangées transperçait les fenêtres du temple et s'avançait avec des teintes bleues et rouges, qui jamais ne s'entremêlaient. Les lumières miroitaient au dessus des toitures de la ville, rougeoyantes, alors que le tintement des cloches de l'église appelait les fidèles à se rendre en bord de mer ou au temple. Pour certains, adorer consistait à admirer l'océan, à être au rendez-vous de ce spectacle. D'autres préféraient l'immersion, donnant leur corps à l'océan, métaphoriquement parlant, comme pour lui dire "Je te dois tout." A l'intérieur du temple, les croyants se baignaient dans l'eau ruisselante, laissant pénétrer leur peau de l'encens qui parcourait l'air épais. Leurs pensées circulaient au fil de l'eau, donnant lieu à des visions leur apportant sérénité. Un Prêtre des Murmures les surveillait, tandis qu'au tumulte dans la chambre se joignaient des échos de marmottements, de bourdonnements et de petits cris d'extase.
     Plus loin dans le temple, le Capitaine Oeil-Gris du "Gréement de Fortune" releva la tête après avoir salué le Grand Orateur Les-Os-De-Sa-Mère-Sont-Des-Yeux-Lumineux.
     "Que nous avez-vous apporté, Capitaine?"
     Comme tout bon capitaine marin, Oeil-Gris vouait une grande fidélité aux prêtres. Il priait régulièrement, sur les flots comme sur la côte, et reversait toujours une partie de l'or qu'il amassait en mer. Son dernier butin était d'ailleurs ce qui l'avait amené devant l'Orateur du temple, dans sa ville natale.
     "Des rumeurs Calabims parlent de gracieuses récompenses en échange d'un trésor qu'ils auraient égaré."
     "Je sais. Le flux et le reflux de l'eau m'informent des nouvelles du monde entier."
     "Alors vous connaissez mieux qu'moi l'importance du Livre des Sables; je n'en sais pas plus que c'qu'ils ont offert comme récompense."
     L'Orateur le fixait sans cligner de ses yeux caves. Il était chauve, pâle, et squelettique, mais sa voix était comme le grincement du mât du "Gréement de Fortune". A l'époque où Oeil-Gris, enfant, priait dans ce temple, il en était déjà l'Orateur, il n'avait d'ailleurs pas changé d'apparence.
     "Je paierai tout ce que vous demanderez. Toutefois, lorsque la négociation sera terminée, j'aurai une faveur à vous demander."
     "Vous êtes trop bon, Votre Résonance. Si vous m'payez en pièces Lanuns, je renoncerai au prix des Calabims. J'accepte cette faveur. Quelle est-elle?"
     "Une prêtresse viendra avec vous sur votre navire. Je lui ai donnée une mission; vous devriez d'ailleurs trouver ses compétences utiles. Laissez le livre sur l'autel. Vos services nous ont été inestimables, comme d'habitude, Capitaine." Oeil-Gris inclina la tête et fut escorté au loin. L'Orateur observait le livre devant lui. La couverture était d'un cuir léger et coloré, salie par le temps. Les pages étaient devenues friables. De la chair humaine sans doute, comme pour toutes les fabrications des Catacombes Libralus, dont les livres étaient gardés par des golems. Aucun livre n'avait jamais quitté cette ville, un ouvrage comme le Livre des Sables était donc d'une extrême rareté. Le Grand Orateur savait que ce n'était pas la chance, mais la volonté de l'invisible qui avait amené ce livre dans son temple.
     Il apporta le livre dans la pièce des Rêveurs, derrière le temple, où se trouvaient des bassins et des colonnes formés à partir des dépôts organiques et minéraux. L'eau de mer sacrée s'écoulait d'un bout à l'autre de la pièce, où les Rêveurs étaient allongés dans de petits bassins. Il approcha l'un des Rêveurs, une jeune adolescente, aux cheveux ondulant dans l'eau derrière elle. A l'intérieur d'une jarre d'argile près de sa tête, les mots suivants étaient gravés à l'eau-forte: "le livre des noms morts voit au-delà des profondeurs". L'Orateur donna le livre à l'un des gardiens des Rêveurs et ordonna de le placer dans un bassin vide.
     "Orateur, les livres rêvent-ils?"
     "C'est l'océan qui rêve. Nous sommes bénis pour en être une de ses parties."
     Une voix émanant de l'un des bassins se fit alors entendre, "les rêves de l'invisible imprègnent toute la création", et tous les éveillés dans la pièce répondirent en chantant, "les rêves de l'invisible imprègnent toute la création."
     "Et par conséquent vous serez appelés," psalmodia l'Orateur, et sa voix pénétra le sommeil du Rêveur. Il observait l'assistant plonger le livre dans l'eau. Ce dernier prit une aiguille pour perforer la couverture de devant, comme il l'aurait fait dans une veine, et alluma la mèche introduite dans le chas de l'aiguille. Mais l'opération ne se passa pas comme d'habitude; le livre n'avait pas les caractéristiques biologiques pour transporter la substance cireuse qui se consumait d'un bout à l'autre du système sanguin; et ainsi fut induit le rêve.
     C'était deux heures avant que ne soit constaté le moindre changement. L'Orateur était resté au-dessus des Rêveurs, patient, croyant, et curieux. Lorsque l'adolescente s'agita, les esprits se mélangèrent dans le courant. Les mouvements de ses membres se saccadèrent au rythme de sa conscience, s'attardant sur le livre, et ne ressentant plus la réalité de son corps.
     "Parle!" commanda l'Orateur. La fille demeura silencieuse, ne provoquant que quelques petites éclaboussures par ses mouvements. L'Orateur dit alors, "Je cherche la source des murmures."
     Il continua ses ordres jusqu'à ce que l'adolescente s'assagisse. Puis, finalement, elle répondit de sa voix juvénile, "Je refuse."
     "Tu n'as pas le pouvoir de refuser. Tu navigueras à travers la mer des rêves et tu trouveras la source que je t'ai demandée."
     "Je ne peux pas bouger."
     "Dis-moi ce que tu vois."
     "Je vois tout. Les rêves de tous. Les rêves de tout. Tous à la fois, une ombre chacun, fluide."
     "Regarde au-delà."
     "Je ne vois qu'obscurité au-delà des rêves."
     "Rends-toi là-bas. Je te l'impose." Sa voix réverbérait dans la chambre. Il n'avait pas choisi de continuer. D'ailleurs il ne considérait pas cela comme un choix. Il suivait la volonté de ses maîtres, comme parlant à travers les Rêveurs.
     "Les murmures... Je les ressens... Cette pression... Je ne peux pas les comprendre, mais chaque syllabe m'écrase..."
     "Tourne autour. Je lui parlerai."
     "Je vois un être informel, immense... je vois... un oeil..."
     A cet instant le temple entra en éruption, et des hurlements, des gémissements de terreur, de douleur, s'ensuivirent. L'Orateur tomba vers l'avant et gémit, dépourvu de toute pensée ou faculté. La jeune Rêveuse convulsa et mourut. Depuis l'entrée du temple, des fidèles couraient dans la ville, possédés par une peur panique. Ils se heurtaient violemment aux murs et se tranchaient la gorge avec le premier objet coupant venu, voulant s'extirper du cauchemar dans lequel ils n'étaient pas. D'autres restaient dans le temple, se tordant de douleur et s'aspergeant de son eau sacrée. Peut-être étaient-ils plus forts que les autres, ou peut-être plus sensibles aux visions, toutefois ils survécurent. Plus tard, tous ne se souviendront plus rien d'autre que la couleur jaune.
     Le temple avait déjà rouvert ses portes au culte publique. Les fidèles qui avaient survécu, prenant du galon, rejoignirent les prêtres restants. Ils devinrent les gardiens du temple abritant le Livre des Sables, à l'intérieur duquel apparaissait le nom des fidèles morts pour le Seigneur des Cauchemars en ce jour tragique.

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